Nous, les comédiens
Être comédien, c'est réaliser ses rêves d'enfants. Devenir enfin princesse ou prince charmant d'un coup de baguette magique. Se déguiser, se grimer, se costumer, se maquiller. Se métamorphoser. Se glisser dans la peau de quelqu'un d'autre, jouer à être tout ce qu'on n'est pas dans la vraie vie, bouffeur de dragon ou fée aux mille pouvoir. Redevenir enfant. S'envoler au-dessus des toits et virevolter dans les étoiles.
Et aussi, entrer dans la lumière des projecteurs, se donner à voir au grand jour (mais déguisé, quand même). Et s'enivrer aux applaudissements du public, en redemander. ("Le rappel a été mou, ce soir"). Noël sur scène.
Mais il y aussi quelques contrariétés mineures.
La répétition, par exemple. Difficile d'y couper. Non que la répétition soit un mauvais moment en soi (quoique...). Mais certains soirs, on préférerait aller se coucher. Ou inviter le voisin/la voisine au restaurant. Ou admirer le clair de lune. Ou regarder Luxembourg-Népal de football à la télé. Ou être ailleurs, tout simplement. Ne rien faire.
Et puis, il y a le partenaire. Le partenaire, c'est la réalité qui s'invite dans notre rêve. Non seulement il ne correspond pas forcément à l'idée qu'on se fait de la princesse ou du prince charmant, mais en plus il est doué d'une vie autonome. Quand on répétait son texte, tout seul devant le miroir, on avait une idée très claire de la réaction du partenaire, et de la réaction qu'on aurait en retour. Et voilà que le vrai partenaire, ce cuistre qui ne comprend rien à nos rêves, fait tout le contraire de ce qu'on avait imaginé et nous casse l'effet qu'on avait préparé avec tant de soin...
Enfin, il y a le plus terrible de tout, le brise-rêve par excellence, celui qui d'un mot ruine tous les châteaux en Espagne qu'on s'était patiemment construits. Patatras. La réalité faite homme (ou femme), avec de gros godillots à piétiner les rêves. On croyait son personnage drôle et brillant (admirez-moi un peu) ? il le veut terne et triste. On croyait jouer une tragédie (les sanglots longs des violons...) ? il exige qu'on fasse le pitre et qu'on tourne en ridicule la princesse ou le prince charmant de nos rêves.
Et à la fin, quand on est sur scène, c'est comme dans un rêve. Un rêve qu'on fait tout ensemble.
Et c'est chouette.